Les tiers-lieux, espaces d’innovation pour la recherche participative
Véritables laboratoires sociaux, les tiers-lieux sont de plus en plus nombreux en France. Et pour cause, leurs potentiels d’expérimentations écologiques, environnementales, agricoles, culturelles, etc., en font des espaces d’innovation précieux pour le secteur de la recherche participative. Dans ce contexte, les scientifiques INRAE ont tout à gagner à nouer des liens avec ces laboratoires à ciel ouvert.
Les mains dans la terre pour changer son rapport au monde. Voilà comment pourrait être résumé le caractère intrinsèque des tiers-lieux, ces espaces de rencontres où les compétences sont mutualisées, la coopération valorisée et les humains – bien souvent – engagés pour un monde plus désirable. Espaces hybrides d’expérimentations culturelles, artistiques ou encore sociales, les tiers-lieux sont également des espaces d’autonomie collective, à la recherche d’alternatives aux modèles productivistes, notamment en agriculture. Nombre de tiers-lieux assurent d’ailleurs une production nourricière agroécologique, où l’expérimentation agricole et maraîchère tient une place centrale. En matière de recherche participative, ces laboratoires à ciel ouvert peuvent apporter aux scientifiques de nombreuses possibilités et terrains d’étude pour tenter de répondre aux défis écologiques et agricoles.
Requestionner le travail et le vivre-ensemble
Les tiers-lieux ne sont pas un phénomène nouveau, mais leur essor est de plus en plus remarquable ces dernières années. Alors qu’on n’en dénombrait que 1800 en France en 2018, 3500 étaient recensés en 2023. Une tendance qui démontre une volonté d’émancipation collective, d’imaginer des alternatives écologiques et de recréer du lien social. En bref, pour « refaire société, partout où les conditions le permettent », souffle un membre d’un tiers-lieu occitan. Ces initiatives citoyennes se dessinent donc comme de nouvelles manières de participer à la recherche, notamment dans les tiers-lieux nourriciers, qui sont indépendants et implantés à proximité, en rapprochant la science de la société.
Cependant, ils ne se résument pas uniquement à des espaces destinés à la recherche. Leur diversité d’activités met au contraire en avant tant les relations sociales que les activités elles-mêmes, qui peuvent être de natures aussi nombreuses qu’il existe de tiers-lieux. C’est la communauté qu’ils regroupent et/ou les citoyen·nes qui y orbitent de façon plus ou moins proche qui font librement germer des façons désirables de vivre ensemble. C’est en ceci, justement, que les tiers-lieux évoqués ici se différencient des « living labs » ou « fablabs », davantage centrés autour d’enjeux de conception de services, produits ou nouvelles technologies pour des bénéficiaires identifiés. Au contraire, le concept de tiers-lieu, issu de la sociologie urbaine, désigne plutôt un espace physique qui n’est ni le domicile ni le lieu de travail, mise sur l’autonomie communautaire et n’existe que par l’énergie des personnes qui le font vivre.
C’est donc le lien social qui est au centre des tiers-lieux.
Une démarche de « recherche-action »
C’est donc le lien social qui est au centre des tiers-lieux. Dans les tiers-lieux nourriciers, « le jardin est un prétexte pour que les gens travaillent ensemble », remarque David Viala, co-fondateur du tiers-lieu Oasis citadine à Montpellier. Mieux, d’après lui dans ces espaces hors du temps, « il n’y a plus de différence sociale car tout le monde a les mains dans la terre, les gens se côtoient et ont une passion commune ». En requestionnant ainsi la façon de travailler et de vivre ensemble, les tiers-lieux en deviennent des vecteurs de changement, tant social que politique, et qu’en matière de production de connaissances agroécologiques.
Dans les Vosges, le tiers-lieu de la Vigotte Lab est une vallée de 30 hectares, composée de prairies, de forêts, d’espaces naturels et d’un hameau habité, « au service de la recherche, de l’innovation et de la formation pour la ruralité en transition », précise Maxence Arnould, chercheur de l’UMR Silva (INRAE, AgroParisTech, Université de Lorraine) régulièrement en lien avec le tiers-lieu. A la Vigotte Lab, l'axe « forêt » est accompagné par les chercheurs de cette UMR et par la plateforme Forest Inn Lab pour coconstruire avec les parties prenantes et usagers les axes de la gestion forestière du tiers-lieu. Une démarche qualifiée de « recherche-action », qui procure deux rôles aux scientifiques, comme l’explique Antoine Daval, cofondateur du lieu : « d'une part, des chercheurs immergés dans l'écosystème de parties prenantes pour animer les réflexions collectives et apporter de l'outillage pour mener la démarche. D'autre part, des chercheurs observateurs qui essayent de répondre aux questions de recherche posées préalablement. »
Des initiatives citoyennes comme matériel de recherche
Ces nouvelles manières d’appréhender la recherche permettent ainsi de valoriser et croiser les savoirs, de renforcer les liens entre la recherche et l’action, d’avoir une utilité sociétale plus concrète, plus directe, proche des préoccupations des citoyens et avec un ancrage prononcé au sein des territoires. L’objet de recherche est le fruit d’une co-construction et d’une gouvernance plus horizontale au sein des collectifs et communautés liées aux tiers-lieux. C’est alors qu’émergent des compétences et des préoccupations issues de milieux socio-professionnels plus diversifiés que dans le processus classique de la recherche scientifique. C’est par l’expression de cette diversité qu’est favorisée l’intégration des dimensions sociales et environnementales dans le développement de systèmes alimentaires susceptibles de répondre aux défis planétaires actuels.
Pour toutes ces raisons, par la dimension politique impulsée par cette perception collaborative de la science, les tiers-lieux paraissent très pertinents pour initier des démarches de sciences et recherches participatives (SRP). Un groupe de travail a été créé au sein de l’association nationale des Tiers-Lieux pour porter cette vision d’une science qui se coconstruit : quand les connaissances théoriques et pratiques s’entrecroisent, une diversité de partenariats germent pour imaginer de nouveaux modes d’organisation, de gouvernance participative et d’animation, avec une implication très forte des acteurs non académiques dans le processus de recherche. « On essaie de penser tout le processus de recherche de façon différente, en nous appuyant sur la manière dont les tiers-lieux et les fermes collectives fonctionnent. Il y a un effet miroir très inspirant », explique Pascale Château-Terrisse de l’UMR AGIR (INRAE, INP Toulouse, ENSFEA) qui collabore avec le tiers-lieu nourricier du 100e singe, à Toulouse.
La recherche qui s’ancre dans le territoire
Les collectifs qui constituent les tiers-lieux représentent donc autant d’opportunités pour les agents INRAE d’interagir, de tisser des liens avec de nouveaux acteurs et de construire la confiance entre le monde de la recherche formelle et la société civile. Cette confiance entre scientifiques et citoyens est consolidée par l’approche locale inhérente aux tiers-lieux. Production locale qui n’obéit pas aux injonctions de l’export, création de liens entre habitants du territoire et possibilités de rencontres… les tiers-lieux seraient « un outil qui répond à des besoins de développement territorial, qui permet des croisements, des collaborations, d’apprendre, de transmettre, et qui invite à la convivialité », explique Nadja Fiori, coordinatrice des accompagnements entre des scientifiques et le 100e singe. « Ici, on apporte un cadre de travail, de rencontres, ça apporte une autre dimension. Le tiers-lieu permet de s’enrichir soi-même ».
Chaque lieu a donc sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, sa communauté, invitant aux rencontres informelles et favorisant la créativité et les projets collectifs. Par définition, ces espaces sont très ancrés dans leurs territoires, adaptés à des contextes géographiques locaux, au point même que des labels nationaux, comme celui de « Fabrique de territoire » et de « Manufacture de proximité » sont décernés par le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Des labels régionaux sont aussi élaborés au sein de certaines régions comme en Normandie, dans le Grand-Est ou en Occitanie, avec des critères qui sont propres à chacune.
Une autre forme de laboratoire
Pour autant, ces spécificités n’éloignent pas les tiers-lieux des impératifs de la recherche scientifique. Sur le tiers-lieu du 100e singe, « on expérimente l’agriculture et beaucoup d’anciens scientifiques apportent leurs connaissances pour se reconvertir dans le maraîchage hors-labo », relève Nadja. Il existe donc encore une distance entre les laboratoires académiques et les tiers-lieux, mais qui tend à s’effacer.
Mathieu Hanemian - chargé de recherche au sein du laboratoire des Interactions Plantes-Microorganismes d'INRAE - et Hélène Guétat - sociologue rattachée à l’équipe LISST-dynamiques rurales de l’ENSFEA et co-fondatrice du tiers-lieu situé sur le site de Brassacou en Ariège - ont répondu à un appel à projet sur la thématique des cultures associées.
Cette mosaïque de laboratoires citoyens rend difficile une généralisation des fonctionnements des tiers-lieux. C’est pour cette raison qu’un important travail de repérage est nécessaire afin de distinguer toutes les possibilités de partenariats scientifiques qui peuvent exister. Une réflexion est en cours avec France Tiers-Lieux pour faire apparaître dans sa cartographie nationale les différents tiers-lieux nourriciers désirant collaborer avec des chercheurs et/ou ayant une activité de recherche, pour faciliter la mise en lien de scientifiques voulant s’investir avec leurs concitoyens, non seulement pour rendre la science plus participative, mais aussi coproduire des connaissances et innovations nouvelles, avec toute la rigueur que la science suppose.
Le pôle DipSO-SenS pour vous aider
"Chargée de mission dans le pôle DipSO-SenS, mon objectif est de créer des passerelles entre les scientifiques et les tiers-lieux et de favoriser des collaborations. Depuis 2022, je vais régulièrement à la rencontre des tiers-lieux nourriciers en Occitanie pour explorer les modalités de collaboration entre ces tiers lieux et la recherche. D'autre part, je représente l'institut dans le groupe de travail "Recherche", créé en 2023 avec l'Association Nationale des Tiers-Lieux."
Catherine Tailleux
Contact : catherine.tailleux@inrae.fr
Tiers-lieux nourriciers en Occitanie
L'exploration des tiers-lieux a démarré par un travail d'identification des tiers-lieux nourriciers en Occitanie.
Voici ceux que le pôle DipSO-SenS a identifiés :
Trois exemples de recherches participatives en tiers-lieux
Dans ce webinaire organisé par le groupe de travail "Recherche" impliquant INRAE et l'Association Nationale des Tiers-Lieux, vous découvrirez trois tiers-lieux :
- La Vigotte (à partir de 0min)
- Le Laboratoire Tous chercheurs (à partir de 14min34)
- Le Dôme (à partir de 25min37)
Rédaction : Pierre-Yves Lerayer (journaliste) avec l’appui de Catherine Tailleux, Marco Barzman, Jean-Baptiste Merilhou, Delphine Mézière (pôle DipSO-SenS d'INRAE)
Date de publication : novembre 2024